Activités internationales de recherche-action associant des chercheurs, des pédagogues, des artistes et des jeunes :
Dans la dynamique des recherches-actions menées en France à propos des politiques de jeunesse, le CSTB a développé des coopérations au Brésil, au Sénégal, en Russie, en Ukraine, en Italie sur ce thème. Des expériences partagées comme celle du séminaire « Penser l’autre » avec nos collègues israéliens et palestiniens menées sur plusieurs années nous ont incités à créer cette dynamique de recherches collectives. Cette culture partagée entre les chercheurs et les pédagogues des différents pays nous permet aujourd’hui de créer des recherches-actions associant à la fois des représentants de pays et de cultures différentes, de métiers et d’engagement multiples. Nous visons à créer des démarches de coproduction où les jeunes eux-mêmes tiennent une place importante.
Les notions de changement social, de démocratie, de coopérations et d’élaboration de connaissances sont au cœur de ces travaux ; la psychosociologie, en particulier les démarches de recherches de Jean Dubost et d’Eugene Enriquez sont des références pour réaliser ces processus collectifs d’expériences et d’élaboration. L’implication active de chercheurs de disciplines différentes comme l’anthropologie, la linguistique, la psychanalyse, de pédagogues porteurs de grandes expériences, d’âges très différents favorisent le débat et l’échange de regards multiples[1]. La langue de référence pour tous est le français, en cela ce réseau est francophone ; cependant, nous sommes très attentifs à la traduction et aux résonances entre nous. Comme pour toutes les recherches-actions que nous développons, l’écriture, les traces sont très importantes pour les personnes impliquées directement dans ces démarches mais aussi pour transmettre, partager avec d’autres ces productions collectives. La création de ce site internet s’inscrit dans cette perspective.
Une première recherche-action « Etre jeunes des périphéries ? » (2010-2012) :
1. Le thème de cette recherche-action a émergé au fur et à mesure des échanges lors des différents séminaires internationaux
Le choix du titre du réseau « Jeunes, inégalités sociales et périphéries », proposé par Teresa Carreterro, est significatif de ce point de rencontre. Que signifient alors les termes « centre » et « périphéries » ? quelles significations selon que les jeunes vivent en Russie, à Tcheliabinsk, en Ukraine ou dans les banlieues des villes françaises, ou de Dakar, ou encore du Brésil, de Jérusalem ou de Ramallah ? Pour explorer ces questions nous avons fait le choix d’écouter les jeunes et d’analyser avec eux leurs représentations[2]. Ces démarches très qualitatives ont des limites mais elles indiquent cependant une pertinence des questions posées et permettent d’interroger, d’enrichir les représentations de chacun et de susciter de nouvelles démarches pédagogiques en confiance. A l’heure où dans de nombreux pays, pas seulement en France, ces jeunes des périphéries sont perçus plus comme un risque, un danger qu’une potentialité démocratique, ces recherches-actions ouvrent de nouveaux champs des possibles pour l’ensemble des intervenants dont les jeunes eux-mêmes.
Pour mener à bien l’exploration de ces questions, nous avons créé un dispositif de travail associant l’ensemble des pays et des sites, et tous les participants de cette dynamique. Nous avons souhaité que les jeunes aient une place centrale dans ce processus.
Ce dispositif est le suivant :
- Le séminaire international de trois jours environ se tient une fois par an, chaque participant mobilise ses propres ressources. Ce séminaire constitue la « colonne vertébrale » du réseau, c’est le lieu de l’élaboration collective, des choix de perspectives, des apports scientifiques partagés. Les questions, les hypothèses de travail se sont construites et ont été partagées lors de ces séminaires en particulier ceux de 2009 et de 2010.
- A l’issue de ce séminaire, nous avons créé sur chaque site du réseau des groupes de référence et des démarches locales avec les chercheurs, les pédagogues et les jeunes eux-mêmes. Cette approche a nécessité une mobilisation spécifique. Au Brésil, lors d’un séminaire à Brasilia, nous avons choisi avec Mme Fatima Sudbrack, Professeur de l’université fédérale, de solliciter l’association « les Azulis », association d’intervention communautaire que nous connaissions depuis plusieurs années, de réaliser cette recherche-action avec nous ; en Russie, en lien avec l’institut pédagogique de Tcheliabinsk dirigé par Vadim Kespikov, responsable de la formation et de la gestion des enseignants de l’Oural Sud, Michel Duterde et Valentine Karentseva ont pris contact avec l’association Dimsi, créée par rapport aux droits des jeunes ; en Italie des contacts se sont établis entre Giuseppe Carollo, chercheur psychosociologue et les CEMEA de Rome ; Henri Cohen Solal et Edgar Laloum ont impliqué dans cette recherche des représentants de l’association « Beit Ham » et une association éducative dirigée par Jacques Neno en Palestine ; des contacts établis lors d’un séminaire des Cemea en Russie avec des responsables ukrainiens en particulier Irina Pervushevska ont permis que les formateurs et les animateurs du Palais de la créativité de Rivne participent à ces travaux. De même le travail mené avec Mama Sow, Professeur à l’Institut d’Education populaire et des sports du Sénégal, et Président des CEMEA du Sénégal, a aussi conduit à créer une dynamique locale dans le cadre de cette recherche.
Les liens de travail et de confiance établis précédemment, parfois depuis plusieurs années, permettent de créer un dispositif comme celui-ci qui ne s’inscrit dans aucun programme international déjà défini. Nous visons à avoir une approche économique qui engage peu d’argent, et qui mobilise essentiellement les moyens de formation et de recherches déjà présents dans les institutions. Le CSTB reconnaît cette démarche de recherche et alloue à Joëlle Bordet, Directrice de recherches, les moyens pour animer ces travaux. Les participants de ce réseau ne contribuent pas directement à cette animation, mais par leur implication ils engagent du temps de travail et les financements nécessaires à la participation à ce réseau. Les participants des groupes français s’inscrivent dans la même économie collective. Ces choix permettent une souplesse de recherche et de l’engagement de l’ensemble des participants.
Les sites impliqués en France ont mobilisé des participants de la Direction de la Jeunesse de Saint-Jean-la-Ruelle, d’Echirolles, des associations de Prévention spécialisée de Saint-Étienne-du-Rouvray, de la Fondation Feu Vert Paris 20ème, de l’association de jeunes de Decazeville (Aveyron), les lycées de Troyes et de Souillac.
L’implication de chercheurs et d’experts auprès de ces différents groupes locaux en France ont fortement contribué à ces démarches de recherches. Nous citerons D. Dray (anthropologue-psychanalyste), Anna Makarova (linguiste), Mourad Sassi (psychosociologue), Claire de Benazé (directrice du Point Écoute de Garges-lès-Gonesse), Michel Duterde (formateur), Edgar Laloum (formateur), Philippe Gutton (Professeur psychanalyste), Isabelle Bordet (formateur) qui ont accompagné ces travaux régulièrement. L’implication d’artistes comme Joëlle Naim, plasticienne et les artistes du Théâtre du Signe ont aussi enrichi ces démarches.
Il est à noter que les CEMEA, mouvement d’Education nouvelle, ne sont pas institutionnellement parties prenantes de cette recherche mais cependant plusieurs participants à ces travaux sont des militants de ce mouvement. L’expertise et les savoir-faire de cette association ont été mobilisés dans le cadre de ces démarches.
Il s’agit donc d’un dispositif complexe, sollicitant fortement les motivations personnelles et professionnelles des participants. Ce dispositif a été défini pour mener collectivement cette recherche-action. La démarche elle-même s’est inventée « en marchant » avec l’ensemble des participants. La solidité du dispositif et de l’engagement des participants a permis cette réalisation.
La conduite de recherche-action a été collective, elle a cependant mobilisé de façon plus régulière les participants français. Les échanges avec les participants des autres pays ont cependant influencé ces élaborations. Joëlle Bordet a eu pour rôle de coordonner l’ensemble et de réaliser le travail opératoire nécessaire. Il est à souligner que la possibilité d’être inscrit dans le programme européen « Jeunesse en action », grâce à l’implication de l’association 2kZ, a permis de concrétiser ce désir de rencontre, d’élaboration avec les jeunes eux-mêmes et a complètement transformé la démarche de la recherche-action.
La démarche de la recherche-action peut a posteriori être présentée de la façon suivante :
A posteriori, il est possible de reconstruire la démarche de cette recherche-action. Il est important de souligner que nous avons pu ajuster en permanence cette démarche pour prendre en compte les conditions d’engagement des sites parce que nous avions une expérience collective préalable de la recherche-action telle que nous l’avons développée au CSTB. En effet tous les responsables des sites français avaient réalisé avant leur implication dans ce réseau international des recherches-actions avec nous et partageaient à la fois ces rapports de coproductions entre chercheurs et acteurs du site, et des repères concernant la démarche mais aussi le mode de production. De même des coopérations parfois de longue date étaient instaurées avec les chercheurs et les artistes impliqués dans ces travaux. C’est ce qui nous a permis à la fois de tenir la rigueur de la démarche et l’adaptation nécessaire.
- Des hypothèses de recherche et une posture d’analyse partagée
Le travail d’élaboration, lors du séminaire international et des réunions avec les responsables des sites français, nous a permis de préciser nos questions initiales : « être jeune des périphéries », cette notion a-t-elle du sens dans les dynamiques de socialisation mais aussi de « rapport au monde » des jeunes qui aujourd’hui habitent les favélas du Brésil, les quartiers populaires urbains en France, les banlieues de Dakar, les quartiers autour des usines de Tcheliabinsk, ou encore les quartiers populaires de Rome ? En quoi peut-on identifier des résonances communes pour ces jeunes entre 18 et 25 ans ? Que signifie alors de devenir adulte et autonome dans de tels contextes ? Que cela signifie-t-il aussi pour ceux qui les accompagnent et les accueillent ?
A l’issue de ces premières formulations et après avoir échangé sur nos propres travaux, nous avons souhaité créer une dynamique d’écoute des jeunes et une capacité collective d’analyse de leurs représentations.
La réalisation de premiers films en Russie à l’école 48 de Tcheliabinsk par Michel Duterde et Valentine Kazensceva auprès des élèves, et à Rio Janeiro au Brésil par Teresa Carretero auprès de jeunes vivant dans une grande favéla nous a permis à la fois de mieux s’approprier nos propres questions et d’identifier des axes de questionnement partagé pour réaliser de nouveaux entretiens dans tous les sites en référence à un questionnement commun. Ces axes de questionnement sont les suivants : quels rapports ont les jeunes à leur famille, à l’amour, à la réalisation de soi ? Quels rapports ont les jeunes au travail, à l’utilité sociale, à la réalisation sociale ? Quels rapports ont les jeunes à la citoyenneté locale, nationale, internationale ? Ces questions ont été alors reprises dans tous les sites du réseau.
- Des démarches sur tous les sites pour élaborer avec les jeunes ces questions et présenter ces réflexions à l’ensemble des participants
Dans chaque site impliqué dans ce réseau, des démarches ont été mises en œuvre par les pédagogues avec les jeunes. Ces démarches ont été très multiples à la fois pour constituer le groupe de jeunes intéressés à y participer, et pour s’approprier ces questions. Au lycée de Troyes des ateliers d’écriture ont été mis en place, dans plusieurs associations de Prévention spécialisée un travail d’entretiens filmés avec la caméra a eu lieu. Les sites des autres pays ont mis plus de temps à constituer leur groupe de référence mais la perspective de venir en France représenter son pays et échanger avec les autres les a tous mobilisés. Ainsi plus de deux cents jeunes ont été impliqués sur l’ensemble des sites, ces démarches ont été parfois présentées au Conseil d’administration des associations, ou dans des instances municipales ou des lycées. Cette reconnaissance institutionnelle et cette perspective d’une production collective ayant un caractère international ont beaucoup motivé les jeunes, même si certains d’entre eux pouvaient vivre à distance des cadres normatifs de la société. Aujourd’hui encore ces démarches initiées en 2009 se poursuivent au plan local et ont donné naissance à de nouvelles initiatives comme la création d’association « pour changer leur image et se faire reconnaître ». C’est à l’œuvre actuellement à Paris avec la Fondation Feu Vert, au Brésil avec les Azulis.
Un premier regroupement à Dunkerque a permis de réunir tous les groupes constitués sur les sites français. La présence de plusieurs chercheurs et experts a contribué à engager une analyse réflexive. Chacun d’entre eux a proposé des réflexions et des pistes de travail en fonction des démarches de chaque site. Ce regard n’a pas été vécu comme un surplomb mais a facilité l’instauration du travail collectif de recherche. Les pédagogues très actifs dans cette dynamique ont été les « passeurs-interprètes » du travail en cours. Ce premier séminaire a instauré un mode de relations et de travail que nous poursuivrons en juillet avec l’ensemble des sites du réseau international.
Lors de ce regroupement, nous avons parlé en skype avec plusieurs interlocuteurs des sites étrangers, brésilien et palestinien. Nous étions tous très émus, notre aventure collective commençait à prendre corps ; un des jeunes de Saint-Étienne-du-Rouvray me dira : « mais, madame, on parle au monde », à Troyes, à leur retour, très tard le soir, les pères de certains jeunes les attendaient... à partir de ce premier séminaire, nous nous sommes tous sentis investis d’une responsabilité collective, il nous fallait réussir ensemble cette recherche collective.
Chaque site a continué sa propre démarche mais nous avions identifié qu’il fallait trouver des modalités communes de production pour mener ce travail d’analyse réflexive. Des échanges avec Christian Gautelier, Directeur de la communication et de la pédagogie des médias au CEMEA, nous ont aidés à définir ce cadre formel de production. Il a été convenu de façon collective que notre production de références serait des films de vingt minutes d’entretien de jeunes ; quatre jeunes choisis par leur groupe répondront à quatre questions déjà formulées et communes à tous les sites du réseau. Ces questions devaient faire résonance avec l’univers de vie de chacun des jeunes et être assez ouvertes pour que chacun s’en saisissent là où il le souhaite. L’entretien semi-directif à caractère exploratoire a été alors notre référence. Nous partagerons cette approche lors des réunions avec les pédagogues français mais aussi nos interlocuteurs étrangers. Ce ne fut pas très difficile car cette approche par entretien s’est avérée un référentiel commun. Nos travaux au Sénégal ont permis de réaliser une première approche en direct. L’implication des jeunes et leur liberté de parole, quels que soient les contextes, nous a montré la pertinence de la démarche et l’intérêt de l’expression par des films. Ils ont alors tous créé des films montrant des images de leur environnement quotidien et les entretiens réalisés avec les jeunes.
La possibilité d’être inscrit dans le programme européen « Jeunesse en action » a constitué un levier essentiel pour réaliser cette recherche-action dans une coproduction avec les jeunes. La mobilisation de l’association 2KZ de Decazeville y a largement contribué. Des démarches en direct auprès de l’ambassade de France à Brasilia, ainsi qu’à Dakar nous ont permis d’obtenir le financement des frais de transports pour les jeunes de ces délégations. L’obtention des visas et l’arrivée des jeunes sénégalais seront une aventure difficile... Un premier regroupement des pédagogues de tous les sites et des chercheurs, à Paris, a permis de préparer le séminaire de la recherche-action avec les jeunes. Nous avons alors longuement échangé sur l’objet même de la recherche, sur les démarches et la mobilisation de chaque site et sur la réalisation des films, sur les rôles respectifs des chercheurs, des pédagogues et des artistes et sur les conditions d’accueil des jeunes. Nous savions que pour la plupart d’entre eux c’était un espace inédit à la fois très attendu mais aussi accueillant. En référence à nos savoir-faire collectifs concernant l’accueil des jeunes dans uns dynamique internationale, nous avons alors défini une charte de vie définissant en particulier un espace de médiation en cas de conflit ou de situation de violences, des règles partagées en particulier à propos des pratiques d’alcool et de drogue. Nous avons travaillé à établir une grille d’activités alternant les activités de recherche, artistiques, de découvertes. Nous avons été soucieux de l’équilibre entre les temps formels et informels et des conditions d’accueil. Il a été alors défini qu’une partie du séminaire se tiendrait au lycée professionnel de Souillac et une autre à Paris autour du 14 juillet. Cette préparation collective entre adultes s’est avérée indispensable pour réaliser notre ambition et pour faire vivre cette collectivité de 120 personnes pendant dix jours soit environ 90 jeunes et 40 adultes. Les films réalisés par Yvan, un jeune réalisateur russe, ainsi que les photos d’Elsa Bataille, une jeune photographe, en témoignent et sont présentés sur ce site.
Le séminaire associant environ cent-vingt personnes de 16 à 70 ans issues de huit pays différents a constitué un temps fort de cette démarche. Nous avons visé à soutenir une démarche de recherche collective et une rencontre à la fois de jeunes et avec des adultes. Le travail préalable à la fois d’organisation, de mobilisation, de production a permis de tenir ensemble de tels objectifs. Nous étions émerveillés de pouvoir nous retrouver ensemble et de pouvoir étudier, vivre et échanger dans cette diversité. Dès l’arrivée des délégations à l’aéroport les échanges se sont créés par la musique, par la danse. Je pense souvent à cette phrase dite par un jeune brésilien « je savais que j’étais né au monde mais je ne lui avais pas été présenté ». Pour autant ce séminaire n’a pas toujours été facile, nous avons traversé des conflits géopolitiques douloureux comme celui entre les Russes et les Ukrainiens, que nous connaissions peu, ou le conflit israélo-palestinien déjà très présent dans nos échanges… conflits qui aujourd’hui s’avèrent être des guerres déclarées… ces réelles tensions ont demandé une attention et un travail sur soi de tous les participants, vivre ensemble a supposé d’être très attentionné à la place de chacun en prenant en compte la diversité des langues, l’anglais n’était pas une langue instituée pour la traduction mais elle a été très utilisée dans les échanges entre les participants, de même l’espace de médiation pensé précédemment a été nécessaire pour traiter des problèmes de vie collective... des grands moments de joie, de découvertes, d’échanges personnels et collectifs ont permis l’effort du travail collectif de recherche. Des images se remémorent : le match de foot « international » au bord de la Dordogne, les ateliers avec Marco, Sylvie et Isabelle de théâtre, la mappemonde de Joëlle, la visite des sites des Eyzies et de Rocamadour, le bateau-mouche sur la Seine et le 14 juillet au Trocadéro et toutes ces soirées où chacun invitait l’autre à découvrir sa culture... de l’éducation populaire en quelque sorte… L’accueil officiel à la mairie de Souillac, d’Aubervilliers, au siège de la Direction du CSTB a aussi donné le sentiment à tous que nous portions collectivement une responsabilité au-delà des échanges et du travail mené dans le séminaire... notre nouvelle recherche-action sur l’inspiration démocratique de l’adolescence est certainement en partie née dans cette dynamique.
Un dispositif de recherche pour analyser collectivement les films réalisés par chaque délégation et pour créer une dynamique réflexive partagée : un objectif important de ce séminaire était de poursuivre la recherche-action engagée de façon collective avec les sites français et de façon plus individuelle avec les autres pays. Pour pouvoir travailler ensemble, nous avons créé un dispositif d’analyse ; il était le suivant : chaque film était analysé par l’ensemble des délégations et faisait l’objet de débat. Après discussion, la première journée était consacrée à l’analyse des films ukrainiens et russes, la soirée a été co-animée par les délégations de ces deux pays, le lendemain les films français dans leur diversité faisaient l’objet de l’analyse ainsi que le film italien, de même la soirée était co-animée par ces pays, la journée suivante étaient présentés les films des Israéliens et des Palestiniens, après discussion, le temps de la soirée était divisé en deux, chaque délégation étant responsable de son temps... en réel nous avons frôlé l’accident diplomatique… la dernière journée du séminaire nous avons analysé les films des Brésiliens et créé un forum avec les jeunes sénégalais, car pour des raisons techniques le film n’avait pas pu être finalisé… soirée partagée par tous, où la danse et le football ont été à l’honneur… de quoi faire réfléchir sur les stéréotypes, reflets parfois grossissants de réalités identitaires et culturelles. La formalisation de ce cadre a eu un effet d’analyseur, elle a permis à la fois l’expression de ces tensions mais a aussi constitué un contenant suffisamment solide pour les vivre et les élaborer le plus possible.
Le processus d’analyse des films était le suivant : la délégation concernée par ce moment de travail présentait les jeunes impliqués dans cette réalisation, la démarche mise en œuvre au plan local et leur film. Ensuite le film faisait l’objet d’analyse par petits groupes. Les groupes étaient constitués de deux délégations, une délégation française et une des autres pays, ainsi la délégation israélienne a travaillé avec celle de Paris 20ème, celle de Decazeville avec celle de Rome… Des chercheurs, des pédagogues étaient présents dans chaque groupe d’analyse. Les rôles étaient distribués ainsi : les jeunes étaient les premiers acteurs de l’analyse, les pédagogues aidaient aux échanges et à la traduction, à l’explicitation du contexte, à l’approfondissement des points de vue, les chercheurs prenaient des notes, aidaient à la reformulation et proposaient des interrogations. Les trois questions posées à chaque groupe étaient les mêmes : quels sont les points de vue proches des vôtres, ceux qui vous surprennent, ceux avec lesquels vous êtes en désaccord. Les démarches de réflexion ont été différentes selon les groupes, mais la permanence des groupes pour l’analyse des films a permis une dynamique spécifique à chacun.
Après environ deux heures de travail en petits groupes, nous faisions alors une séance plénière avec tous les participants. La délégation qui a présenté son film écoutait chaque rapport des groupes fait par les représentants de celui-ci le plus souvent par les jeunes eux-mêmes, la traduction avait lieu en même temps dans toutes les langues présentes, la salle était organisée pour cela. Puis les jeunes et les pédagogues réalisateurs du film répondaient en direct. Nous prenions note de toutes les réflexions et une synthèse redonnait les points clés à l’issue de la passation de tous les groupes. Nous mettons en ligne sur ce site quelques verbatim de ces réflexions.
Nous n’avons pas eu les moyens d’écrire un rapport de l’ensemble de ces analyses, c’est pourquoi sur ce site nous donnons plus à voir la démarche de recherche et ce qu’elle a produit en termes de dynamique que ses contenus. Cependant cette expérience a été marquante pour tous, et a alimenté les réflexions des nouveaux séminaires internationaux. Elle a à la fois enrichi nos représentations et nos analyses, elle a incarné pour les participants une communauté d’échanges entre ces jeunes « des périphéries urbaines » et ceux qui les accueillent et les accompagnent. Elle est initiatrice de la nouvelle recherche- action que nous menons collectivement aujourd’hui et de l’ouvrage publié aux Éditions Inpress en septembre 2014 intitulé « Adolescence et idéal démocratique. Accueillir les jeunes des quartiers populaires ». Les auteurs sont Philippe Gutton et Joëlle Bordet avec la participation de Serge Tisseron, mais trente personnes, la plupart membres du réseau « Jeunes, inégalités sociales et périphéries », ont contribué à la rédaction de ce livre. Beaucoup d’entre eux ont fait référence à cette première démarche collective de recherche. Aujourd’hui encore de nombreux jeunes communiquent entre eux et avec nous par les réseaux internet, et de nouveaux projets ont été engagés sur les sites à la suite de ces séminaires.
[1] Droit de cité, Revue Adolescence, n° 25, 2007.
[2] Séminaire SG-CIV – CSTB relatif aux politiques locales de jeunesse. 2012.